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Transclasse : pourquoi je ne me sens pas à ma place ?

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Psychologie, coaching, développement professionnel

Transclasse : pourquoi je ne me sens pas à ma place ?

Transclasse : pourquoi je ne me sens pas à ma place ?  

« Quand j’ai démarré ma carrière professionnelle, je n’avais pas les codes. Je me sentais en décalage avec les autres, comme différente. Ce sentiment ne m’a jamais quitté »

 « J’évite le plus possible les prises de parole en réunion. Je ne me sens pas à l’aise. C’est comme s’il me manquait du vocabulaire ou que ma syntaxe était bancale. Je manque d’aisance comparé à mes collègues. Je ressens de la gêne voire de la honte »

 « J’ai le sentiment que certains postes ne sont pas accessibles pour moi. Quand je me projette sur des postes de cadres supérieurs ou des postes de direction, je me dis que la marche est trop haute. Je reste à ma place »

Ces exemples sont tirés d’expériences réelles. Leurs points communs ? Un vécu de transfuge de classe pas tout à fait intégré. Le doute et le manque de légitimité coexistent et font barrage à l’authenticité et la confiance en soi. Et cela, malgré les retours et compliments de collègues ou de responsables hiérarchiques. Cette impression d’assurance laisse place, en toile de fond, à de l’appréhension.

Comment apparaît le manque de confiance et le sentiment de ne pas être à la bonne place ? Comment se sentir plus confiant.e et faire taire son syndrome de l’imposteur ?

Je vous propose ici une lecture mêlant psychologie et sociologie pour identifier et comprendre quelques mécanismes à l’œuvre. Cet article explorera quelques clés d’analyse, tirées de lectures et des accompagnements que je réalise. Ainsi que quelques pistes de réflexions et d’actions.

Bonne lecture !  Si le sujet vous plait, n’hésitez pas à consulter mon premier article sur le sujet. 

Transfuge de classe : définition

Chantal Jacquet, philosophe, a introduit le terme de « transclasse » pour évoquer une personne qui a changé de classe sociale. Être issu.e d’un milieu modeste et/ou avoir des parents ouvriers et évoluer soi-même en tant que cadre ou dirigeant traduit une ascension sociale. On peut parler de déclassement lorsque l’on est issu.e d’être milieu favorisé ou bourgeois et que l’on vit à terme dans un milieu modeste.

Cet article se focalisera sur le phénomène d’ascension sociale.

Faire exception et ne pas suivre le destin familial traduit est une « non reproduction ». Chantal Jacquet exprime l’idée que « la non-reproduction est une forme de reproduction car il s’agit d’imiter un modèle autre que le modèle dominant de sa classe d’origine » (Livre – Les transclasses ou la non reproduction, 2014).

Comprendre les mécanismes à l’œuvre pour mieux les déconstruire

1. L’impression d’être en décalage avec les membres de son équipe, ses pairs

  » Quand j’ai débuté mon activité, j’ai fait l’acquisition d’un stylo Mont Blanc et d’une besace en cuir d’une grande marque pour suivre les « codes ». J’ai aussi changé mon style vestimentaire. Mes tenues viennent désormais d’enseignes haut de gamme. Au démarrage, cela n’a pas été simple de m’acclimater « .

 Pierre Bourdieu, sociologue, parle d’ « habitus » pour désigner une façon d’être. Cet habitus issu d’un processus de socialisation, qui démarre lors de l’enfance, diffère selon les classes sociales.

Le fait de se sentir en décalage avec son entourage peut être lié à l’évolution de son habitus. Il est fort probable qu’un.e tranclasse ait dû acquérir certains codes sociaux en démarrant sa carrière professionnelle : langage, comportement, éventuel code vestimentaire… Afin de faciliter son intégration et correspondre aux normes du groupe dominant (au sens sociologique).

Décryptage :
  • Malgré l’acquisition des codes, le sentiment de devoir faire illusion pour être intégré, de jouer un rôle, est toujours présent.
  • Cela peut conduire à un décalage, à l’impression d’être toujours en « période d’essai » et à une forme de fragilité liée à la peur d’être démasqué.e.
  • Cette capacité d’adaptation est énergivore et n’est peut-être plus opportune aujourd’hui.

Et l’authenticité dans tout cela ?

La notion de « faux self » est intéressante à introduire. Jeanne Tissot, psychologue, évoque une « personnalité de camouflage utile à l’intégration sociale et que l’on revêt ponctuellement pour se fondre dans un milieu social donné ou répondre à une contrainte externe, le faux self peut constituer une seconde peau dont on ne parvient plus à se défaire. Telle une identité adaptée aux circonstances extérieures, elle coupe le sujet de ses racines authentiques, de son vrai self » (2). De par son adaptation sociale, le transclasse peut renforcer son faux self pour correspondre aux normes de son groupe et s’éloigner de son vrai self, porteur d’authenticité.

2. La crainte d’être jugé.e par les autres

 » Mon pire ennemi ?  La prise de parole en public. Je me sens sur la sellette. Et si je perdais mes mots ? N’avais pas le bonne réponse ou la bonne idée ? Je préfère éviter ces moments qui vous mettent en danger « .

Les autres semblent avoir le verbe facile ? Le fait de venir d’un milieu modeste ou défavorisé ne donne pas l’accès au même niveau d’éducation, au même niveau de culture, en comparaison à des personnes issues de milieux plus favorisés. Certaines ressources sont plus difficiles d’accès. D’ailleurs, les programmes d’éducation prioritaire visent à réduire les écarts et inégalités sociales et économiques sur les zones les plus en difficultés. L’aisance concernant la prise de parole, la richesse du vocabulaire, la culture générale s’en trouvent impactées.

Vous le percevez ? Les références cinématographiques et artistiques diffèrent, ainsi que les activités et loisirs. Cet écart à la « culture légitime » (terme développé par Pierre Bourdieu), entre ce qui est valorisé par la classe dominante et ce qui est connu par des personnes appartenant à un milieu plus modeste, peut induire un complexe d’infériorité chez les transfuges de classe, du stress voire de l’anxiété lors de certaines situations.

L’évolution de l’habitus peut faciliter l’intégration dans un groupe et le sentiment d’appartenance. Cela renvoie à des processus sociaux et psychologiques : est-ce que je fais partie du groupe ? Suis-je accepté.e ? Toutefois, comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête, la possibilité d’être exclu.e du groupe plane.

Décryptage :  
  • Le fait d’être démasqué.e impliquerait de rendre visible ce qui a pu être « camouflé » jusqu’à lors. Il existe un enjeu concernant le fait de faire bonne figure et d’appartenir au groupe dominant. In fine, de mériter sa place.
  • Le jugement des autres est décisif et impacte l’estime de soi. Or, cela le jugement reste une opinion.
  • Un croyance est présente : un faux pas entrainerait un discrédit irréversible, sorte de « mort sociale ». Cela peut générer une pression disproportionnée.

 

3. Le tiraillement entre modestie et affirmation de soi

 » J’ai récupéré un poste vacant. Je suis arrivé au bon moment. Il n’y avait personne d’autre qui postulait. N’importe qui aurait pu l’avoir, je n’ai pas de mérite particulier « .

Dans cet exemple, une explication externe est favorisée. L’obtention du poste n’est pas corrélée à des attributions internes (compétences, talents, investissement…) mais des attributions externes (chance, hasard…). C’est un constat que je fais de façon régulière, cette tendance à parler de « chance » au lieu de parler ses capacités et réussites professionnelles. Le lien entre le succès et l’implication personnelle n’est pas vraiment établi…

Kevin Chassangre, psychologue, exprime que le « syndrome de l’imposteur favoriserait l’humilité afin de garantir des interactions adaptées et éviter la prétention ou l’orgueil vis-à-vis de sa réussite » (Livre – Se libérer du syndrome de l’imposteur, 2016), d’où le fait que les attributions internes soient minimisées. Cela entretient une forme de modestie.

Décryptage :
  • Le fait de vivre une ascension sociale, d’être cadre, d’avoir des revenus associés à la fonction peut créer le sentiment de bénéficier de privilèges (notamment vis à vis de son milieu d’origine). Il est possible que la réussite ne soit pas tout à fait assumée par pudeur ou crainte de rejet. L’attribution externe de la réussite permet de limiter l’écart, la rupture avec son milieu d’origine.
  • Opter pour un discours mettant en avant la méritocratie « Je peux le faire, tout le monde peut le faire », implique un jugement pour ceux qui n’ont pas eu le même parcours. L’attribution interne de la réussite peut être tenue à distance par humilité et solidarité.

Ce mécanisme peut être protecteur. Il permet également une loyauté vis-à-vis de sa classe sociale d’origine. Toutefois, internaliser cette croyance « je n’ai pas de mérite particulier », c’est également réduire sa contribution personnelle concernant ce qui a pu être accompli. Cela peut aussi constituer un frein à l’affirmation de soi.

Quelques pistes de réflexion et d’actions

Nous avons passé plusieurs mécanismes qui entretiennent le doute dans le parcours du transfuge de classe, cette « exception sociale ». Je vous propose quelques pistes pour gagner en confiance en soi, développer une sécurité psychologique et éloigner le syndrome de l’imposteur :

  • Retracer les grandes étapes du parcours et identifier les compétences spécifiques liées à l’expérience de transclasse : quelles aptitudes particulières ont été développées en tant que transclasse ? Allez, je vous propose les deux premières pierres : analyse des situations, adaptabilité…
  • Distinguer les forces, qualités et atouts. Cela contribuera à augmenter la confiance en soi et la conscience de soi. La conscience de soi est l’un des piliers de l’intelligence émotionnelle qui permet, entre autres, une meilleure régulation des émotions permise par une connaissance de soi plus aiguisée. Les proches peuvent aider dans l’identification des atouts.
  • Cerner les situations dans lesquelles des difficultés ou du « danger » sont ressentis (réunion en grande instance, avec certains membres de l’organisation, lors du démarrage de nouveaux projet…). Puis identifier quel est le « discours interne » négatif : dans quelle mesure ce discours interne est vrai ? Quelles sont les réussites qui donnent tort à ce discours interne ?
  • Accepter de naviguer entre deux mondes. Pour Chantal Jacquet, « le transclasse se caractérise donc par une double appartenance ; il est au milieu des milieux, à la croisée, à l’entre-deux ». Il parait illusoire de se positionner d’un côté ou de l’autre. Cela contribue à alimenter le faux self. L’idée est de trouver votre place à la croisée des chemins.
  • Se réconcilier avec son parcours, son histoire de vie pour se reconnecter à ses valeurs, renforcer son identité, se sentir plus aligné.e et gagner en authenticité. Un accompagnement par un professionnel peut être envisagé pour travail plus profond.

J’espère que cet article vous a plu. N’hésitez à commenter l’article et interagir avec moi. C’est avec plaisir que j’échangerais avec vous !

 

Laetitia Parrenne – Fondatrice Humano Modo
Coaching Professionnel I Conseil I Formation
Bretagne – Grand Ouest – Ile de France & Intervention à Distance
E-mail : laetitia.parrenne@humano-modo.com
Site : www.humano-modo.com

 

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